Comme Heinrich Heine, à qui plus d’une connivence le liait intimement depuis l’enfance, Paul Celan, poète juif
germanophone, né loin d’Allemagne, peu après la chute de l’empire austro–hongrois, entre l’Ukraine, la
Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie et la Roumanie, a passé près de la moitié de sa vie en France à Paris,
après que les retournements de l’histoire l’eurent affublé de quatre nationalités successives. Il n’a pour ainsi
dire jamais vécu dans les patries de sa langue maternelle. L’Allemagne est restée une terre de brèves visites,
Vienne, un séjour abandonné , sinon fui .S’il chante encore après Auschwitz, c’est sous un nom quasi francisé et,
pour l’essentiel, depuis les rives de la Seine, qui furent sa dernière escorte d’hommes et de choses, une nuit
d’avril 1970, deux semaines après une ultime lecture de ses poèmes devant les auditeurs dubitatifs de la société
Hölderlin à Stuttgart. Mais c’est en Allemand dans l’idiome natal et fatal, maternel et criminel, de ceux qui
avaient assassiné sa famille et détruit à jamais sa propre existence, autant que dans l’élément austro-hongrois
d’une langue rescapée « du monde d’hier », exceptionnellement pure, qu’il prononçait avec une intensité
discrète, proche de la douleur. C’est dans cette langue aussi qu’il a traduit la poésie des autres : Shakespeare,
Ungarett , Mandelstam, Henri Michaux…Et c’est cette langue elle-même que sa poésie continue de fouiller
obstinément comme un ciel infini, si obstinément qu’elle en paraît, chez les poètes du moins, changée pour
longtemps. On dit que Paul Celan est le plus grand poète de langue allemande depuis Rilke et cette renommée
semble vouloir durer. Jean-Pierre Lefebvre
Paul Celan (nom d’écrivain de Paul Antschel) est né en 1920 à Czernowitz en
Roumanie, dans une famille juive de langue allemande..Après une première année de
médecine à Tours (1938-1939) , Celan retourne dans son pays où il subit les persécutions
fascistes et nazies : il est interné deux ans dans des camps de travail roumains ; victimes de la
barbarie nazie, ses parents disparaissent en Transnistrie .
En 1947, il quitte la Roumanie pour Vienne en Autriche où il publie son premier livre
« Le sable des urnes » (Der Sand aus den Urnen). Il s’installe en 1948 à Paris, où il occupe la
fonction de lecteur d’allemand et de traducteur à l’École normale supérieure.
Très vite reconnue dans l’espace germanophone et couronnée par des prix prestigieux comme
celui de la Ville de Brème (1958) et le Georg- Büchner-Preis (1960),son œuvre, hautement
complexe et radicalement novatrice, est le carrefour de toutes les traditions poétiques
occidentales et juives, de Shakespeare à Mandelstam ,en passant par Yehuda Halevi ,
Michaux, Ungaretti, Pessoa, Rimbaud, Valéry, Char, Cioran, Jacques Dupin dont Celan est
l’incomparable traducteur.
Ses poèmes qui témoignent d’une extrême attention à l’histoire et à l’actualité,
frappent aussi par leur sobriété, la simplicité et l’évidence de leur engagement en faveur de
l’humain. L’oeuvre de Paul Celan, et en particulier le célèbre Fugue de la Mort (Todesfuge,)
qu’il tenait pour « un tombeau » (Grab, Grabschrift), est un témoignage et un combat contre
toute forme de barbarie.
Paul Celan se jette dans la Seine à Paris en 1970.
La majeure partie de ses œuvres sont publiées en éditions bilingues.
« Choix de poèmes » réunis par l’auteur traduction Jean-Pierre Lefebvre chez Gallimard
« Grille de Parole », « La rose de personne », « Renverse de souffle », « Partie de Neige », « De seuil en
seuil », « Pavot et mémoire » Points Seuil